BAKOUNINE
1865 |
Source : Daniel Guérin, Ni Dieu, Ni Maître,
Anthologie de l'anarchisme, 1970. |
Catéchisme révolutionnaire
Michel Bakounine
Il y a dans les pages qui suivent une contradiction, au moins apparente.
Tantôt Bakounine se prononce catégoriquement pour la «destruction des États» :
«L'État, dit-il, doit être radicalement démoli», etc., tantôt il réintroduit le
mot «État» dans son argumentation. Il le définit cette fois comme «l'unité
centrale du pays», comme un organe fédératif. Et il n'en continue pas moins à
vitupérer «l'État tutélaire, transcendant, centralisé», à dénoncer «la pression
despotiquement centralisatrice de l'État». Il y a donc État et État. On
retrouve, d'ailleurs, la même ambiguïté sous la plume de Proudhon, chez qui
Bakounine a tant puisé. La mise en accusation de l'État a été le thème
essentiel de la pensée proudhonienne. Et pourtant le Proudhon de la dernière
période, celui duPrincipe fédératif (1863), livre écrit deux ans seulement avant le Programme de Bakounine,
n'hésite pas, lui non plus, à employer le mot «État», dans le même sens
fédéraliste et anticentraliste que Bakounine lui a emprunté.
D. G.
Principe généraux
Négation de l'existence d'un dieu réel, extramondial, personnel, et par
conséquent aussi de toute révélation et de toute intervention divine dans les
affaires du monde et de l'humanité. Abolition du service et du culte de la
divinité.
Remplaçant le culte de Dieu par le respect et l'amour de l'humanité, nous
affirmons la raison humaine, comme critérium unique de la vérité ; la
conscience humaine, comme base de la justice ; la liberté individuelle et
collective, comme unique créateur de l'ordre de l'humanité.
La liberté, c'est le droit absolu de tout homme ou femme majeurs, de ne
point chercher d'autre sanction à leurs actes que leur propre conscience et
leur propre raison, de ne les déterminer que par leur volonté propre et de n'en
être par conséquent responsables que vis-à-vis d'eux-mêmes d'abord, ensuite
vis-à-vis de la société dont ils font partie, mais en tant seulement qu'ils
consentent librement à en faire partie.
Il n'est point vrai que la liberté d'un homme soit limitée par celle de
tous les autres. L'homme n'est réellement libre qu'autant que sa liberté,
librement reconnue et représentée comme par un miroir par la conscience libre
de tous les autres, trouve la confirmation de son extension à l'infini dans
leur liberté. L'homme n'est vraiment libre que parmi les autres hommes
également libres ; et comme il n'est libre qu'à titre d'humain, l'esclavage
d'un seul homme sur la terre, étant une offense contre le principe même de
l'humanité, est la négation de la liberté de tous.
La liberté de chacun n'est donc réalisable que dans l'égalité de tous. La
réalisation de la liberté dans l'égalité du droit et du fait est la justice.
Il n'existe qu'un seul dogme, qu'une seule loi, qu'une seule base morale
pour les hommes, c'est la liberté. Respecter la liberté de son prochain, c'est
le devoir ; l'aimer, l'aider, le servir, c'est la vertu.
Exclusion absolue de tout principe d'autorité et de raison d'État. Ñ La
société humaine ayant été primitivement un fait naturel, antérieur à la liberté
et au réveil de l'humaine pensée, devenue plus tard un fait religieux, organisé
selon le principe de l'autorité divine et humaine, doit se reconstituer
aujourd'hui sur la base de la liberté, qui doit devenir désormais le seul
principe constitutif de son organisation politique aussi bien qu'économique.
L'ordre dans la société doit être la résultante du plus grand développement
possible de toutes les libertés locales, collectives et individuelles.
L'organisation politique et économique de la vie sociale doit partir, par
conséquent, non plus comme aujourd'hui de haut en bas et du centre à la
circonférence par principe d'unité et de centralisation forcées, mais de bas en
haut et de la circonférence au centre, par principe d'association et de
fédération libres.
Organisation
politique
Il est impossible de déterminer une norme concrète, universelle et
obligatoire pour le développement ultérieur et pour l'organisation politique
des nations ; l'existence de chacune étant subordonnée à une foule de
conditions historiques, géographiques, économiques différentes et qui ne
permettront jamais d'établir un modèle d'organisation, également bon et
acceptable pour toutes. Une telle entreprise, absolument dénuée d'utilité
pratique, porterait d'ailleurs atteinte à la richesse et à la spontanéité de la
vie qui se plaît dans la diversité infinie et, ce qui plus est, serait
contraire au principe même de la liberté. Pourtant il est des conditions
essentielles, absolues en dehors desquelles la réalisation pratique et
l'organisation de la liberté seront toujours impossibles.
Ces conditions sont :
L'abolition radicale de toute religion officielle et de toute Église
privilégiée ou seulement protégée, payée et entretenue par l'État. Liberté
absolue de conscience et de propagande pour chacun, avec la faculté illimitée
d'élever autant de temples qu'il plaira à chacun, à ses dieux, quels qu'ils
fussent, et de payer, d'entretenir les prêtres de sa religion.
Les Églises, considérées comme corporations religieuses, ne jouiront
d'aucun des droits politiques qui seront attribués aux associations
productives, ne pourront ni hériter, ni posséder des biens en commun excepté
leurs maisons ou établissements de prière, et ne pourront jamais s'occuper de
l'éducation des enfants, l'unique objet de leur existence étant la négation
systématique de la morale, de la liberté et la sorcellerie lucrative.
Abolition de la monarchie, république.
Abolition des classes, des rangs, des privilèges et de toutes sortes de
distinctions. Égalité absolue des droits politiques pour tous, hommes et femmes
; suffrage universel.
Abolition, dissolution et banqueroute morale, politique, judiciaire,
bureaucratique et financière de l'État tutélaire, transcendant, centraliste,
doublure et alter egode l'Église, et comme
telle, cause permanente d'appauvrissement, d'abrutissement et d'asservissement
pour les peuples. Comme conséquence naturelle : abolition de toutes les
universités de l'État, le soin de l'instruction publique devant appartenir
exclusivement aux communes et aux associations libres ; abolition de la
magistrature de l'État, tous les juges devant être élus par le peuple ;
abolition des codes criminels et civils qui sont actuellement en vigueur en
Europe, parce que tous, également inspirés par le culte de Dieu, de l'État, de
la famille religieusement ou politiquement consacrée, et de la propriété, sont
contraires au droit humain, et parce que le code de la liberté ne pourrait être
créé que pour la seule liberté. Abolition des banques et de toutes les
institutions de crédit de l'État. Abolition de toute administration centrale,
de la bureaucratie, des armées permanentes et de la police de l'État.
Élection immédiate et directe de tous les fonctionnaires publics,
judiciaires et civils, aussi bien que de tous les représentants ou conseillers
nationaux, provinciaux et communaux, par le peuple, c'est-à-dire par le
suffrage universel de tous les individus, homme et femmes majeurs.
Réorganisation intérieure de chaque pays en prenant pour point de départ et
pour base la liberté absolue des individus, des associations productives et des
communes.
Droits individuels
Droit pour chacun, homme ou femme, depuis la première heure de sa naissance
jusqu'à l'âge de sa majorité, d'être complètement entretenu, surveillé,
protégé, élevé, instruit dans toutes les écoles primaires publiques,
secondaires, supérieurs, industrielles, artistiques et scientifiques, aux frais
de la société.
Droit égal pour chacun d'être conseillé et soutenu par cette dernière, dans
la mesure du possible, au commencement de la carrière que chaque individu,
devenu majeur, absolument libre, n'exercera plus sur lui ni surveillance ni
autorité aucune et, déclinant vis-à-vis de lui toute responsabilité, ne devra
plus que le respect et, au besoin, la protection de sa liberté.
La liberté de chaque individu majeur, homme et femme, doit être absolue et
complète, liberté d'aller et de venir, de professer hautement toutes les
opinions possibles, d'être fainéant ou actif, immoral ou moral, de disposer en
un mot de sa propre personne ; liberté de vivre, soit honnêtement de son propre
travail, soit en exploitant honteusement la charité ou la confiances privée,
pourvu que cette charité et cette confiance soient volontaires et ne lui soient
prodiguées que par des individus majeurs.
Liberté illimitée de toute sorte de
propagande par le discours, par la presse, dans les réunions publiques et
privées, sans autre frein à cette liberté que la puissance salutaire naturelle
de l'opinion publique. Liberté absolue d'associations, sans exempter celles qui
par leur objet seront ou paraîtront immorales et même celles qui auront pour
objet la corruption et la [destruction] (1) de la liberté individuelle et publique.
La liberté ne peut et ne doit se défendre
que par la liberté ; et c'est un contresens dangereux que de vouloir y porter
atteinte sous le prétexte spécieux de la protéger ; et, comme la morale n'a pas
d'autre source, d'autre stimulant, d'autre cause, d'autre objet que la liberté,
et comme elle n'est elle-même rien que la liberté, toutes les restrictions
qu'on a imposées à cette dernière dans le but de protéger la morale ont
toujours tourné au détriment de celle-ci. La psychologie, la statistique et
tout l'histoire nous prouvent que l'immoralité individuelle et sociale a
toujours été la conséquence nécessaire d'une mauvaise éducation publique et
privée, de l'absence et de la dégradation de l'opinion publique qui n'existe et
ne se développe et ne se moralise jamais que par la seule liberté ; et la
conséquence surtout d'une organisation vicieuse de la société. L'expérience
nous apprend, dit l'illustre statisticiens Quételet (2), que c'est la société
qui prépare toujours les crimes et que les malfaiteurs ne sont que les
instruments fatals qui les accomplissent. Il est donc inutile d'opposer à
l'immoralité sociale les rigueurs d'une législation qui empiéterait sur la
liberté individuelle.
L'expérience nous apprend, au contraire, que le système répressif et
autoritaire, loin d'en avoir arrêté les débordements, l'a toujours plus
profondément et plus largement développée dans les pays qui s'en sont trouvés
atteints, et que la morale publique et privée a toujours descendu et monté à
mesure que la liberté des individus se rétrécissait ou s'élargissait. Et que,
par conséquent, pour moraliser la société actuelle, nous devons commencer
d'abord par détruire de fond en comble toute cette organisation politique et
sociale fondée sur l'inégalité, sur le privilège, sur l'autorité divine et sur
la méprise [le mépris ?» de l'humanité ; et après l'avoir reconstruite sur les
bases de la plus complète égalité, de la justice, du travail, et d'une
éducation rationnelle uniquement inspirée par le respect humain, nous devons
lui donner l'opinion publique pour garde et, pour âme, la liberté la plus
absolue.
Pourtant la société ne doit point rester complètement désarmée contre les
individus parasites, malfaisants et nuisibles. Le travail devant être la base
de tous les droits politiques, la société, comme une province, ou nation,
chacune dans sa circonscription respective, pourra en priver [de ces droits»
tous les individus majeurs qui n'étant ni invalides, ni malades, ni vieillards,
vivront aux frais de la charité publique ou privée, avec l'obligation de les
leur restituer aussitôt qu'ils recommenceront à vivre de leur propre travail.
La liberté de chaque individu étant inaliénable, la société ne souffrira
jamais qu'un individu quelconque aliène juridiquement la liberté, ou qu'il
l'engage par contrat vis-à-vis d'un autre individu autrement que sur le pied de
la plus entière égalité et réciprocité. Elle ne pourra pourtant pas empêcher
qu'un homme ou qu'une femme, dénués de tout sentiment de dignité personnelle,
ne se mettent sous contrat vis-à-vis d'un autre individu, dans un rapport de
servitude volontaire, mais elle les considérera comme des individus vivant de
la charité privée et par conséquent destitués de la jouissance des droits
politiques, pendant toute la durée de cette servitude.
Toutes les personnes qui auront perdu leurs droits politiques seront
également privées de celui d'élever et de garder leurs enfants. En cas
d'infidélité à un engagement librement contracté ou bien en cas d'attaque
ouverte ou prouvée contre la propriété, contre la personne et surtout contre la
liberté d'un citoyen, soit indigène soit étranger, la société infligera au
délinquant indigène ou étranger les peines déterminées par ses lois.
Abolition absolue de toutes les peines dégradantes et cruelles, des
punitions corporelles et de la peine de mort, autant que consacrée et exécutée
par la loi. Abolition de toutes les peines à terme indéfini ou trop long et qui
ne laissent aucun espoir, aucune possibilité réelle de réhabilitation, les
crime devant être considéré comme une maladie et la punition plutôt comme une
cure que comme une vindicte de la société.
Tout individu condamné par les lois d'une société quelconque, commune,
province ou nation, conservera le droit de ne pas se soumettre à la peine qui
lui aura été imposée, en déclarant qu'il ne veut plus faire partie de cette
société. Mais dans ce cas celle-ci aura à son tour le droit de l'expulser de
son sein et de le déclarer en dehors de sa garantie et de sa protection.
Retombé ainsi sous la loi naturelle Ïil pour Ïil, dent pour dent, au moins
sur le terrain occupé par cette société, le réfractaire pourra être pillé,
maltraité, même tué sans que celle-ci s'en inquiète. chacun pourra s'en défaire
comme d'une bête malfaisante, jamais pourtant l'asservir ni l'employer comme
esclave.
Droits des associations
Les associations coopératives ouvrières sont un fait nouveau dans
l'histoire ; nous assistons aujourd'hui à leur naissance, et nous pouvons
seulement pressentir, mais non déterminer à cette heure l'immense développement
que, sans aucun doute, elles prendront et les nouvelles conditions politiques
et sociales qui en surgiront dans l'avenir. Il est possible et même fort
probable que, dépassant un jour les limites des communes, des provinces et même
des États actuels, elles donnent une nouvelle constitution à la société humaine
tout entière, partagée non plus en nations, mais en groupes industriels
différents, et organisés selon les besoins non de la politique, mais de la
production. Ceci regarde l'avenir.
Quant à nous, nous ne pouvons poser aujourd'hui que ce principe absolu :
quel que soit [leur] objet, toutes les associations, comme tous les individus,
doivent jouir d'une liberté absolue. La société, ni aucune partie de la société
: commune, province ou nation, n'a le droit d'empêcher des individus libres de
s'associer librement dans un but quelconque : religieux, politique,
scientifique, industriel, artistique ou même de corruption sur elle et
d'exploitation des innocents et des sots, pourvu qu'ils ne soient point
mineurs.
Combattre les charlatans et les associations pernicieuses, c'est uniquement
l'affaire de l'opinion publique. Mais la société a le devoir et le droit de
refuser la garantie sociale, la reconnaissance juridique et les droits
politiques et civiques à toute association, comme corps collectif, qui, par son
objet, ses règlements, ses statuts serait contraire aux principes fondamentaux
de sa constitution,, et dont tous les membres ne seraient pas mis sur un pied
d'égalité et de réciprocité parfaites, sans pouvoir en priver les membres
eux-mêmes seulement pour le fait de leur participation à des associations non
régularisées par la garantie sociale.
La différence entre les associations régulières et irrégulières sera donc
celle-ci : les associations juridiquement reconnues comme corps collectifs
auront, à ce titre, le droit de poursuivre devant la justice sociale tous les
individus, membres ou étrangers, aussi bien que toutes les autres associations
régulières, qui auront manqué à leur engagement envers elles. Les associations
juridiquement non reconnues n'auront point ce droit à titre de corps collectifs
; aussi elles ne pourront être soumises, à ce titre, à aucune responsabilité
juridique, tous leurs engagements devant être nuls aux yeux d'une société qui
n'aura point sanctionné leur existence collective, ce qui pourtant ne pourra
libérer aucun de leurs membres des engagements qu'ils auront pu prendre
individuellement.
Organisation politique
nationale
La division d'un pays en régions, provinces, districts et communes, ou en
départements et communes comme en France, dépendra, naturellement de la
disposition des habitudes historiques, des nécessités actuelles et de la nature
particulière de chaque pays. Il ne peut y avoir ici que deux principes communs
et obligatoires pour chaque pays, qui voudra organiser sérieusement chez lui la
liberté. Le premier : c'est que toute organisation doit procéder de bas en
haut, de la commune à l'unité centrale du pays, à l'État, par voie de
fédération. La seconde : c'est qu'il y ait entre la commune et l'État au moins
un intermédiaire autonome : le département, la région ou la province. Sans
quoi, la commune, prise dans l'acception restreinte de ce mot, serait toujours
trop faible pour résister à la pression uniformément et despotiquement
centralisatrice de l'État, ce qui ramènerait nécessairement chaque pays au
régime despotique de la France monarchique, comme nous en avons eu deux fois
l'exemple en France, le despotisme ayant eu toujours sa source beaucoup plus
dans l'organisation centralisante de l'État que dans les dispositions
naturellement toujours despotiques des rois.
La base de toute l'organisation politique d'un pays doit être la commune,
absolument autonome, représentée toujours par la majorité des suffrages de tous
les habitants, hommes et femmes à titre égal, majeurs. Aucun pouvoir n'a le
droit de se mêler dans sa vie, dans ses actes et dans son administration
intérieure. Elle nomme et destitue pr élection tous les fonctionnaires :
administrateurs et juges, et administre sans contrôle les biens communaux et
les finances. Chaque commune aura le droit incontestable de créer
indépendamment de toute sanctions supérieure sa propre législation et sa propre
constitution. Mais, pour entrer dans la fédération provinciale et pour faire
partie intégrante d'une province, elle devra absolument conformer sa charte
particulière aux principes fondamentaux et la constitution provinciale et la
faire sanctionner par le parlement de cette province. Elle devra se soumettre
aussi aux jugements du tribunal provincial et aux mesures qui, après avoir été
sanctionnées par le vote du parement provincial, lui seront ordonnées par le
gouvernement de la province. autrement elle sera exclue de la solidarité, de la
garantie et communauté, [s'étant mise] hors la loi provinciale.
La province ne doit être rien qu'une
fédération libre de communes autonomes. Le parlement provincial comprenant,
soit une seule chambre composée de représentants de toutes les communes, soit
de deux chambres, dont l'une comprendrait les représentants des communes,
l'autre les représentants de la population provinciale tout entière,
indépendamment des communes., le parlement provincial, sans s'ingérer
aucunement dans l'administration intérieure des communes, devra établir les
principes fondamentaux qui devront constituer la charte provinciale de devront
être obligatifs (sic) pour toutes les communes qui voudront participer au
[parlement provincial] (3).
[Prenant les principes du présent catéchisme, pour base], le parlement
codifiera la législation provinciale par rapport tant aux devoirs et aux droits
respectifs des individus, des associations et des communes, qu'aux peines qui
devront être imposées à chacun en cas d'infraction aux lois par lui établies,
laissant pourtant aux législations communales le droit de diverger de la
législation provinciale sur des points secondaires, mais jamais dans la base ;
tendant à l'unité réelle, vivante, non à l'uniformité, et se confiant, pour
former une unité encore plus intime, à l'expérience, au temps, au développement
de la vie en commun, aux propres convictions et nécessités de la commune, à la
liberté en un mot, jamais à la pression ni à la violence du pouvoir provincial,
car la vérité et la justice même, violemment imposées, deviennent iniquité et
mensonge.
Le parlement provincial établira la charte constitutive de la fédération
des communes, leurs droits et leurs devoirs respectifs, ainsi que leurs devoirs
et droits vis-à-vis du parlement, du tribunal et du gouvernement provinciaux.
Il votera toutes les lois, dispositions et mesures qui seront commandées, soit
par les besoins de la province tout entière, soit par des résolutions du
parlement national, sans perdre jamais de vue l'autonomie provinciale ni
l'autonomie des communes. Sans jamais s'ingérer dans l'administration
intérieure des communes, il établira la part de chacun, soit dans les impôts
nationaux, soit dans les impôts provinciaux. Cette part sera répartie par la
commune elle-même entre tous ses habitants valides et majeurs. Il contrôlera
enfin tous les actes, sanctionnera ou rejettera toutes les propositions du
gouvernement provincial, qui sera mutuellement toujours électif. Le tribunal
provincial, également électif, jugera sans appel toutes les causes entre
individus et communes, entre associations et communes, entre communes et
communes, et en première instance toutes les causes entre la commune et le
gouvernement et le parlement de la province.
La nation ne doit être rien qu'une fédération de provinces autonomes. Le
parlement national comprenant, soit une seule chambre composée des
représentants de toutes les provinces, soit deux chambres dont l'une
comprendrait les représentants des provinces, l'autre les représentants de la
population nationale tout entière indépendamment des provinces, le parlement
national, dans s'ingérer aucunement dans l'administration et dans la vie
politique intérieure des provinces, devra établir les principes fondamentaux
qui devront constituer la charte nationale et qui seront obligatoires pour
toutes les provinces qui voudront participer au pacte national.
Le parlement national établira le code national, laissant aux codes
provinciaux le droit d'en diverger sur les points secondaires, jamais sur la
base. Il établira la charte constitutive de la fédération des provinces, votera
toutes les lois, dispositions et mesures qui seront commandées par les besoins
de la nation tout entière, établira les impôts nationaux et les répartira entre
les communes respectives, contrôlera enfin tous les actes, adoptera ou
rejettera les propositions du gouvernement exécutif national qui sera toujours
électif et, à terme, formera les alliances nationales, fera la paix et la
guerre, et seul aura le droit d'ordonner pour un terme déterminé la formation
d'une armée nationale. Le gouvernement ne sera que l'exécuteur de ses volontés.
Le tribunal national jugera sans appel toutes les causes des individus, des
associations, des communes entre [eux et la] province, aussi bien que tous les
débats entre provinces. Dans les causes entre la province et l'État, qui seront
également soumises à son jugement, les provinces pourront en appeler au
tribunal international, s'il se trouve un jour établi.
La Fédération internationale
La Fédération comprendra toutes les nations qui se seront unies sur les
bases ci-dessus et ci-dessous développées. Il est probable et est fort
désirable que, lorsque l'heure de la grande Révolution aura de nouveau sonné,
toutes les nations qui suivront la lumière de l'émancipation populaire se
donnent la main pour une alliance constante et intime contre la coalition des
pays qui se mettront sous les ordres de la réaction. Cette alliance devra
former une fédération universelle des peuples qui, dans l'avenir, devra
embrasser toute la terre. La fédération internationale des peuples
révolutionnaires avec un parlement, un tribunal et un comité directeur
internationaux, sera basée naturellement sur les principes mêmes de la
révolution. Appliqués à la politique internationale, ces principes sont:
Chaque pays, chaque nation, chaque peuple, petit ou grand, faible ou fort,
chaque région, chaque province, chaque commune ont le droit absolu de disposer
de leur sort ; de déterminer leur exigence propre, de choisir leurs alliances,
de s'unir et de se séparer, selon leurs volontés et besoins sans aucun égard
pour les soi-disants droits historiques et pour les nécessités politiques,
commerciales ou stratégiques des États. L'union des parties en un tout, pour
être vraie, féconde et forte, doit être absolument libre. elle doit uniquement
résulter des nécessités locales intérieures et de l'attraction mutuelle des
parties, attraction et nécessités dont les parties sont seules juges.
Abolition absolue du soi-disant droit historique et de l'horrible droit de
conquête comme contraires au principe de la liberté.
Négation absolue de la politique
d'agrandissement, de gloire et de puissance de l'État, politique qui, faisant
de chaque pays une forteresse qui exclut de son sein tout le reste de
l'humanité, le force pour ainsi dire [à] se suffire absolument à lui-même., à
s'organiser en lui-même comme un monde indépendant de toute humaine solidarité
et [à] mettre sa prospérité et sa gloire dans le mal qu'il fera aux autres
nations (4). un pays conquérant est
nécessairement un pays intérieurement esclave.
La gloire et la grandeur d'une nation consistent uniquement dans le
développement de son humanité. Sa force, son unité, la puissance de sa vitalité
intérieure se mesurent uniquement par le degré de sa liberté. En prenant la
liberté pour base, on arrive nécessairement à l'union ; mais de l'unité on
arrive difficilement, sinon jamais, à la liberté. Et si l'on y arrive., ce
n'est qu'en détruisant une unité qui a été faite en dehors de la liberté.
La prospérité et la liberté des nations comme des individus sont absolument
solidaires, et par conséquent liberté absolue de commerce, de transaction et de
communication entre tous les pays fédérés. Abolition des frontières, des
passeports et des douanes. Chaque citoyen d'un pays fédéré doit jouir de tous
les droits civiques et doit pouvoir facilement acquérir le titre de citoyen et
tous les droits politiques dans tous les autres pays appartenant à la même
fédération.
La liberté de tous, individus et corps collectifs étant solidaires, aucune
nation, aucune province, aucune commune et association ne sauraient être
opprimées, sans que toutes les autres ne soient et ne se sentent menacés dans
leur liberté. Chacun pour tous et tous pour chacun, telle doit être la règle
sacrée et fondamentale de la Fédération internationale.
Aucun des pays fédérés ne pourra conserver d'armée permanente, ni
d'institution qui sépareront le soldat du citoyen. Causes de ruine, de
corruption, d'abrutissement et de tyrannie intérieurs, les armées permanentes
et le métier de soldat sont [en outre] une [menace] contre la prospérité et
l'indépendance de tous les autres pays. Chaque citoyen valide doit au besoin
devenir soldat pour la défense soit de ses foyers, soit de la liberté.
L'armement matériel doit être organisé dans chaque pays par commune et par
province, à peu près comme dans les États-Unis de l'Amérique et en Suisse.
Le parlement international, composé soit d'une seule chambre, comprenant
les représentants de toutes les nations, soit deux chambres, comprenant l'une
ces mêmes représentants, l'autre les représentants directs de toute la
population comprise par la Fédération internationale, sans distinction de
nationalité, le parlement fédéral, ainsi composé, établira le pacte
international et la législation fédérale que lui seul aura encore la mission de
développer et de modifier selon les besoins du temps.
Le tribunal international n'aura d'autre mission que de juger en dernière
instance entre les États et leurs provinces respectives. Quant aux différents
qui pourront surgir entre deux États fédérés, ils ne pourront être jugés en
première et en dernière instance que par le parlement international qui
décidera encore sans appel, dans toutes les questions de politique commune et
de guerre, au nom de la fédération révolutionnaire tout entière, contre la
coalition réactionnaire.
Aucun État fédéré ne pourra jamais faire la guerre à un autre État fédéré.
Le parlement international ayant prononcé son jugement, l'État condamné dot s'y
soumettre. Sinon tous les autres États de la fédération devront interrompre
leurs communications avec lui, le mettre en dehors de la loi fédérale, de la
solidarité et de la communion fédérale et, en cas d'attaque de sa part, s'armer
solidairement contre lui.
Tous les États faisant partie de la fédération révolutionnaire devront
prendre une part active à toute guerre que l'un d'eux ferait à un État non
fédéré. chaque pays fédéré, avant de la déclarer, doit en avertir le parlement
international, et ne la déclare que si celui-ci trouve qu'il y a une raison
suffisante pour la guerre. S'il le trouve, le directoire exécutif fédéré
prendra la cause de l'État offensé et demandera à l'État agresseur étranger, au
nom de toute la fédération révolutionnaire, prompte réparation. Si au contraire
le parlement jugera qu'il n'y a pas eu d'agression, ni d'offense réelle, il
conseillera à l'État qui se plaint de ne point commencer la guerre, en
l'avertissant que s'il la commence, il la fera tout seul.
Il faut espérer qu'avec le temps les États fédérés renonçant au luxe
ruineux de représentations particulières se contenteront d'une représentation
diplomatique fédérale.
La fédération internationale révolutionnaire restreinte sera toujours
ouverte aux peuples qui voudront y entrer plus tard, sur la base des principes
et de la solidarité militante et active de la Révolution ci-dessus et
ci-dessous exposés, mais sans jamais faire la moindre concession de principes à
aucun. Par conséquent ne pourront être reçus dans la fédération que les peuples
qui auront accepté tous les principes récapitulés [dans le présent catéchisme].
Organisation sociale
Sans égalité politique point de liberté politique réelle mais l'égalité
politique ne deviendra possible que lorsqu'il y aura égalité économique et
sociale.
L'égalité n'implique pas le nivellement des différences individuelles, ni
l'identité intellectuelle, morale et physique des individus. Cette diversité
des capacités et des forces, ces différences de races, de nations, de sexes,
d'âges et d'individus, loin d'être un mal social, constituent au contraire la
richesse de l'humanité. L'égalité économique et sociale n'implique pas non plus
le nivellement des fortunes individuelles, en tant que produits de la capacité,
de l'énergie productive et de l'économie de chacun.
L'égalité et la justice réclament uniquement : une organisation de la
société telle que tout individu humain naissant à la vie y trouve, en tant que
cela dépendra non de la nature mais de la société, des moyens égaux pour le
développement de son enfance et de son adolescence jusqu'à l'âge de sa
virilité, pour son éducation et pour son instruction d'abord, et plus tard pour
l'exercice des forces différentes que la nature aura mises en chacun pour le
travail. Cette égalité de point de départ, que la justice réclame pour chacun,
sera impossible tant qu'existera le droit de succession.
La justice, autant que la dignité humaine exigent que chacun soit
uniquement le fils de ses ouvres. Nous repoussons avec indignation le dogme du
péché, de la honte et de la responsabilité héréditaires. Par la même
conséquence nous devons rejeter l'hérédité fictive de la vertu, des honneurs et
des droits ; celle de la fortune aussi. L'héritier d'une fortune quelconque
n'est plus entièrement le fils de ses ouvres et, sous le rapport du point de
départ, il est privilégié.
Abolition du droit d'héritage. Ñ Tant que ce droit existera la différence
héréditaire des classes, des positions, des fortunes, l'inégalité sociale en un
mot et le privilège subsisteront sinon en droit, du moins en fait. Mais
l'inégalité de fait, par une loi inhérente à la société, produit toujours
l'inégalité des droits : l'inégalité sociale devient nécessairement inégalité
politique. Et sans égalité politique, avons-nous dit, point de liberté dans le
sens universel, humain, vraiment démocratique de ce mot ; la société restera
toujours divisée en deux parts inégales, dont l'une immense, comprenant toute
la masse populaire, sera opprimée et exploitée par l'autre. donc le droit de
succession est contraire au triomphe de la liberté, et si la société veut
devenir libre, elle doit l'abolir.
Elle doit l'abolir parce que, reposant sur une fiction, ce droit est
contraire au principe même de la liberté. Tous les droits individuels,
politiques et sociaux, sont attachés à l'individu réel et vivant. Une fois mort
il n'y a plus ni volonté fictive d'un individu qui n'est plus et qui, au nom de
la mort, opprime les vivants. Si l'individu mort tient à l'exécution de sa
volonté, qu'il vienne l'exécuter lui-même s'il le peut, mais il n'a pas le
droit d'exiger que la société mettre toute sa puissance et son droit au service
de sa non-existence.
Le but légitime et sérieux du droit de succession a été toujours d'assurer
aux générations à venir les moyens de se développer et de devenir des hommes.
Par conséquent, seul le fonds d'éducation et d'instruction publique aura le
droit d'hériter avec l'obligation de pourvoir également à l'entretien, à
l'éducation et à l'instruction de tous les enfants depuis leur naissance
jusqu'à l'âge de la majorité et de leur émancipation complète. De cette manière
tous les parents seront également rassurés sur le sort de leurs enfants, et
comme l'égalité de tous est une condition fondamentale de la moralité de
chacun, et que tout privilège est une source d'immoralité, tous les parents
sont l'amour pour leurs enfants est raisonnable et aspire non à leur vanité
mais à leur humaine dignité, s'ils avaient même la possibilité de leur laisser
un héritage qui les placerait dans une position privilégiée, préférant pour eux
le régime de la plus complète égalité.
L'inégalité résultant du droit de succession une fois abolie, restera
toujours, quoique considérablement amoindrie, celle qui résultera de la
différence des capacités, des forces et de l'énergie productive des individus,
différence qui, à son tour, sans jamais disparaître entièrement, s'amoindrira
toujours de plus en plus sous l'influence d'une éducation et qui d'ailleurs,
une fois le droit de succession aboli, ne pèsera jamais sur les générations à
venir.
Le travail étant le seul producteur de richesse, chacun est libre sans
doute soit de mourir de faim, soit d'aller vivre dans les déserts ou dans les
forêts parmi les bêtes sauvages, mais quiconque veut vivre au milieu de la
société doit gagner sa vie par son propre travail, au risque d'être considéré
comme un parasite, comme un exploiteur du bien, c'est-à-dire du travail
d'autrui, comme un voleur.
Le travail est la base fondamentale de la dignité et du droit humains. Car
c'est uniquement par le travail libre et intelligent que l'homme, devenant
créateur à son tour et conquérant, sur le monde extérieur et sur sa propre
bestialité, son humanité et son droit, crée le monde civilisé. Le déshonneur
qui, dans le monde antique, aussi bien que dans la société féodale, fut attaché
à l'idée du travail, et qui en grande partie reste encore attaché aujourd'hui,
malgré toutes les phrases que nous entendons répéter chaque jour sur sa
dignité, ce mépris stupide du travail a deux sources : la première, c'est une
conviction si caractéristique des anciens et qui même aujourd'hui compte encore
tant de partisans secrets ; que pour donner à une portion quelconque de
l'humaine société les moyens de s'humaniser par la science, par les arts, par
la connaissance et pat l'exercice du droit, il faut qu'une autre portion,
naturellement plus nombreuse, se voue au travail comme esclave. Ce principe
fondamental de la civilisation antique fut la cause de sa ruine. La cité
corrompue et désorganisée par le désÏuvrement privilégié des citoyens, minée d'un
autre côté par l'action imperceptible et lente mais constante de ce monde
déshérité des esclaves, moralisés malgré l'esclavage et maintenus dans leur
force primitive par l'action salutaire du travail même forcé, tomba sous les
coups des peuples barbares, auxquels, par leur naissance, avaient appartenu en
grande partie ces esclaves.
Le christianisme, cette religion des esclaves, n'avait plus tard détruit
l'antique irrégularité que pour en créer une nouvelle : le privilège de la
grâce et de l'élection divine fondé sur l'inégalité produite naturellement par
le droit de conquête, sépara de nouveau la société humaine en deux camps : la
canaille et la noblesse, les serfs et les maîtres, en attribuant à ces derniers
le noble métier des armes et du gouvernement et ne laissant aux serfs que le
travail non seulement avili, mais encore maudit. La même cause produit
nécessairement les mêmes effets ; le monde nobiliaire, énervé et démoralisé par
le privilège du désÏuvrement, tomba en 1789 sous les coups des serfs, travailleurs
révoltés unis et puissants.
Alors fut proclamée la liberté du travail, sa réhabilitation en droit. Mais
seulement en droit, car de fait le travail reste encore déshonoré, asservi. La
première source de cet asservissement, nommément celle qui consistait dans le
dogme de l'inégalité politique des hommes, ayant été supprimée par la grande
Révolution, il faut attribuer le mépris actuel du travail à sa seconde, qui
n'est autre que la séparation qui s'est faite et qui existe dans sa force
encore aujourd'hui, entre le travail intellectuel et le travail manuel et qui,
reproduisant sous une forme nouvelle l'antique inégalité, partage de nouveau le
monde social en deux camps : la minorité privilégiée désormais non plus par la
loi mais par le capital, et la majorité des travailleurs forcés, non plus par
le droit unique du privilège légal, mais par la faim.
En effet, aujourd'hui, la dignité du travail est déjà théoriquement
reconnue et l'opinion publique admet qu'il est honteux de vivre sans travail.
Seulement, comme le travail humain, considéré dans sa totalité, se divise en
deux parts, dont l'une, tout intellectuelle et déclarée exclusivement noble,
comprend les sciences, les arts, et dans l'industrie l'application des sciences
et des arts, l'idée, la conception, l'invention, le calcul, le gouvernement et
la direction générale ou subordonnée des forces ouvrières, et l'autre seulement
l'exécution manuelle réduite à une action purement mécanique, sans
intelligence, sans idée, par cette loi économique et sociale de la division du
travail, les privilégiés du capital, sans excepter ceux qui y sont les moins
autorisés par la mesure de leurs capacités individuelles, s'emparent de la
première et laissent la seconde au peuple. Il en résulte trois grands maux :
l'un pour ces privilégiés du capital ; l'autre, pour les masses populaires ; et
le troisième, procédant de l'un et de l'autre, pour la production des
richesses, pour le bien-être, pour la justice et pour le développement
intellectuel et moral de la société tout entière.
Le mal dont souffrent les classes privilégiées est celui-ci : en se faisant
la belle part dans la répartition des fonctions sociales, elles s'en font une,
de plus en plus mesquine, dans le monde intellectuel et moral. Il est
parfaitement vrai qu'un certain degré de loisir est absolument nécessaire pour
le développement de l'esprit, des sciences et des arts ; mais ce doit être un
loisir gagné, succédant aux seines fatigues d'un travail journalier, un loisir
juste et dont la possibilité, dépendant uniquement du plus ou du moins
d'énergie, de capacité et de bonne volonté dans l'individu, serait socialement
égale pour tout le monde. Tout loisir privilégié, au contraire, loin de
fortifier l'esprit, l'énerve, le démoralise et le tue. Toute l'histoire nous le
prouve : à quelques exceptions, les classes privilégiées sous le rapport de la
fortune et du sang, ont été toujours les moins productives sous e rapport de
l'esprit, et les plus grandes découvertes dans la science, dans les arts et
dans l'industrie, ont été faites pour la plupart du temps par des hommes qui,
dans leur jeunesse, ont été forcé de gagner leur vie par un rude travail.
L'humaine nature est ainsi faite, que la possibilité du mal en produit
immanquablement et toujours la réalité, et que la moralité de l'individu dépend
beaucoup plus des conditions de son existence et du milieu dans lequel il vit
que de sa volonté propre. Sous ce rapport ainsi que sous tous les autres, la
loi de la solidarité sociale est inexorable, de sorte que pour moraliser les individus
il ne faut pas tant s'occuper de leur conscience que de la nature de leur
existence sociale ; et il n'est point d'autre moralisateur, ni pour la société
ni pour l'individu, que la liberté dans la plus parfaite égalité. Prenez le
plus sincère démocrate et mettez-le sur un trône quelconque ; s'il n'en descend
aussitôt, il deviendra immanquablement une canaille. Un homme né dans
l'aristocratie, si, par un heureux hasard, il ne prend pas en mépris et en
haine son sang, et s'il n'a pas honte de l'aristocratie, sera nécessairement un
homme aussi mal (sic)que vain, soupirant après le passé,
inutile dans le présent et adversaire passionné de l'avenir. De même le
bourgeois, enfant chéri du capital et du loisir privilégie, fera tourner son
loisir en désÏuvrement, en corruption, en débauche, ou bien s'en servira comme
d'une arme terrible pour asservir davantage les classes ouvrières et finira par
soulever contre lui une Révolution plus terrible que celle de 1793.
Le mal dont souffre le peuple est encore plus facile à déterminer : il
travaille pour autrui, et son travail, privé de liberté, de loisir et
d'intelligence, et par là même avili, le dégrade, l'écrase et le tue. Il est
forcé de travailler pour autrui, parce que né dans la misère, et privé de toute
instruction et de toute éducation rationnelle, moralement esclave grâce aux
influences religieuses, il se voit jeté dans la vie désarmé, discrédité, sans
initiative et sans volonté propre. Forcé par la faim, dès sa plus tendre
enfance, à gagner sa triste vie, il doit vendre sa force physique, son travail
au plus dures conditions sans avoir ni la pensée, ni la faculté matérielle d'en
exiger d'autres. Réduit au désespoir par la misère, quelquefois il se révolte
mais, manquant de cette unité et de cette force que donne la pensée, mal
conduit, le plus souvent trahi et vendu par ses chefs, et ne sachant presque
jamais à quoi s'en prendre des maux qu'il endure, frappant le plus souvent à
faux, il a, jusqu'à présent du moins, échoué dans ses révoltes et, fatigué
d'une lutte stérile, il est toujours retombé sous l'antique esclavage.
Cet esclavage durera tant que le capital, restant en dehors de l'action
collective des forces ouvrières, l'exploitera, et tant que l'instruction qui,
dans une société bien organisée devrait être également répartie sur tout le
monde, ne développant que l'intérêt d'une classe privilégiée, attribuera à
cette dernière toute la partie spirituelle du travail, et ne laissera au peuple
que la brutale application de ses forces physiques asservies et toujours
condamnées à exercer des idées qui ne sont pas les siennes.
Par cette injuste et funeste déviation, le travail du peuple, devenu un
travail purement mécanique et pareil à celui d'une bête de somme, est
déshonoré, méprisé, et, par une conséquence naturelle, déshérité de tout droit.
Il en résulte pour la société, sous le rapport politique, intellectuel et
moral, un mal immense. La minorité jouissant du monopole et de la science, par
l'effet même de ce privilège, est frappée à la fois à l'intelligence et au
cÏur, jusqu'au point de devenir stupide à force d'instruction, car rien n'est
aussi malfaisant et stérile que l'intelligence patentée et privilégiée. D'au
autre côté, le peuple, absolument dénué de science, écrasé par un travail
quotidien mécanique, capable d'abrutir plutôt que de développer son
intelligence naturelle, privé de la lumière qui pourrait lui montrer la voie de
sa délivrance, se débat vainement dans son bouge forcé, et comme il a a
toujours pour lui la force, que donne le nombre, il met toujours ne péril
l'existence même de la société.
Il est donc nécessaire que la division inique établie entre le travail
intellectuel et le travail manuel soit autrement établie. La production
économique de la société souffre elle-même considérablement, l'intelligence
séparée de l'action corporelle s'énerve, se dessèche, se flétrit, tandis que la
force corporelle de l'humanité, séparée de l'intelligence s'abrutit et, dans
cet état de séparation artificielle, aucune de produit la moitié de ce qu'elle peut,
de ce qu'elle doit produire lorsque, réunies dans une nouvelle synthèse
sociale, elles ne formeront plus qu'une seule action productive. Lorsque
l'homme de science travaillera et l'homme du travail pensera, le travail
intelligent et libre sera considéré comme le plus beau titre de gloire pour
l'humanité, comme la base de sa dignité, de son droit, comme la manifestation
de son pouvoir humain sur la terre ; et l'humanité sera constituée.
Le travail intelligent et libre sera nécessairement un travail associé.
Libre sera chacun de s'associer ou de ne point s'associer pour le travail, mais
il n'est point de doute qu'à l'exception des travaux d'imagination et dont la
nature exige la concentration de l'intelligence individuelle en elle-même, dans
toutes les entreprises industrielles et même scientifiques ou artistiques qui
admettent par leur nature le travail associé, l'association sera préférée par
tout le monde, pour la simple raison que l'association multiplie d'une manière
merveilleuse les forces productives de chacun, et que chacun devenant membre et
coopérateur d'une association productive, avec moins de temps et beaucoup moins
de peine, gagnera beaucoup plus.
Lorsque les associations productives et libres cessant d'être les esclaves,
et devenant à leur tour les maîtresses et les propriétaires du capital qui leur
sera nécessaire, comprendront dans leur sein, à titre de membres coopérateurs à
côté des forces ouvrières émancipées par l'instruction générale, toutes les
intelligences spéciales réclamées pr leur entreprise, lorsque, se combinant
entre elles, toujours librement, selon leurs besoins et selon leur nature,
dépassant tôt ou tard toutes les frontières nationales, elles formeront une
immense fédération économique, avec un parlement éclairé par les données aussi
larges que précises et détaillées d'une statistique mondiale, telle qu'il n'en
peut encore exister aujourd'hui, et qu'ils combinent l'offre avec la demande
pour gouverner, déterminer et répartir entre différents pays la production de
l'industrie mondiale, de sorte qu'il n'y aura plus ou presque plus de crises
commerciales ou industrielles, de stagnation forcée, de désastres, plus de
peines ni de capitaux perdus, alors le travail humain, émancipation de chacun
et de tous, régénérera le monde.
La terre avec toutes ses richesses naturelles est la propriété de tout le
monde, mais elle ne sera possédée que par ceux qui la cultiveront.
La femme, différente de l'homme, mais non à lui inférieure, intelligente,
travailleuse et libre comme lui, est déclarée son égale dans les droits comme
dans toutes les fonctions et devoirs politiques et sociaux.
De la famille et de
l'école
Abolition, non de la famille naturelle, mais de la famille légale, fondée
sur le droit civil et sur la propriété. Le mariage religieux et civil est
remplacé par le mariage libre. Deux individus majeurs et de sexe différent ont
le droit de s'unir et de se séparer selon leur volonté, leurs intérêts mutuels
et les besoins de leur cÏur, sans que la société ait le droit, soit d'empêcher
leur union, soit de les y maintenir malgré eux. Le droit de succession étant
aboli, l'éducation de tous les enfants étant assurée par la société, toutes les
raisons qui ont été jusqu'à présent assignés pour la consécration politique et
civile de l'irrévocabilité du mariage disparaissent, et l'union de deux sexes
doit être rendue à son entière liberté, qui ici, comme partout et toujours, est
la condition sine qua nonde la sincère moralité.
Dans le mariage libre, l'homme et la femme doivent également jouir d'une liberté
absolue. Ni la violence de la passion, ni les droits librement accordés dans le
passé ne pourront servir d'excuse pour aucun attentat de la part de l'un contre
la liberté de l'autre, et chaque attentat sera considéré comme un crime.
Du moment qu'une femme porte un enfant dans son sein, jusqu'à ce qu'elle
l'ait mis au monde, elle a droit à une subvention de la part de la société,
payée non pour le compte de la femme, mais pour celui de l'enfant. Toute mère
qui voudra nourrir et élever ses enfants recevra également de la société tous
les frais de leur entretien et de sa peine [prodiguée] aux enfants.
Les parents auront le droit de garder près d'eux leurs enfants et de
s'occuper de leur éducation, sous la tutelle et sous le contrôle suprême de la
société qui conservera toujours le droit et le devoir de séparer les enfants de
leurs parents, toutes les fois que ceux-ci, soit par leur exemple, soit par
leurs préceptes ou traitement brutal, inhumain, pourront démoraliser ou même
entraver, le développement de leurs enfants.
Les enfants n'appartiennent ni à leurs parents, ni à la société, ils
s'appartiennent à eux-mêmes et à leur future liberté. Comme enfant, jusqu'à
l'âge de leur émancipation, ils ne sont libres qu'en possibilité, et doivent se
trouver par conséquent sous le régime de l'autorité. Les parents sont leurs
tuteurs naturels, il est vrai, mais le tuteur légal et suprême, c'est la
société, qui a le droit et le devoir de s'en occuper, parce que son propre
avenir dépend de la direction intellectuelle et morale qu'on donnera aux
enfants. [La société] ne peut donner la liberté aux majeurs qu'à condition de
surveiller l'éducation des mineurs.
L'école doit remplacer l'Église avec l'immense différence que celle-ci, en
distribuant son éducation religieuse, n'a point d'autre but que d'éterniser le
régime de l'humaine naïveté et de l'autorité soi-disant divine, tandis que
l'éducation et l'instruction de l'école, n'ayant, au contraire, d'autre fin que
l'anticipation réelle des enfants lorsqu'ils seront arrivés à l'âge de la
majorité, ne sera autre chose que leur initiation graduelle et progressive à la
liberté par le triple développement de leurs forces physiques, de leur esprit
et de leur volonté. La raison, la vérité, la justice, le respect humain, la
conscience de la dignité personnelle, solidaire et inséparable de la dignité
humaine dans autrui, l'amour de la liberté pour soi-même et pour tous les
autres, le culte du travail comme base et condition de tout droit ; le mépris
de la déraison, du mensonge, de l'injustice, de la lâcheté, de l'esclavage, du
désÏuvrement, telles devront être les bases fondamentales de l'éducation
publique.
Elle doit former des hommes, tout d'abord, ensuite des spécialités
ouvrières et des citoyens, et à mesure qu'elle avancera avec l'âge des enfants,
l'autorité devra naturellement faire de plus en plus place à la liberté, afin
que les adolescents, arrivés à l'âge de la majorité, étant émancipés par la
loi, puissent avoir oublié comment, dans leur enfance, ils ont été gouvernés et
conduits autrement que par la liberté. Le respect humain, ce genre de la
liberté, doit être présent même dans les actes les plus sévères et les plus
absolus de l'autorité. Toute l'éducation morale est là ; inculquez ce respect
aux enfants et vous en aurez fait des hommes.
L'instruction primaire et secondaire une fois terminée, les enfants, selon
leurs capacités et leurs sympathies, conseillés, éclairés mais non violentés
par leurs supérieurs, choisiront une école supérieure ou spéciale quelconque.
En même temps chacun devra s'appliquer à l'étude théorique et pratique de la
branche d'industrie qui lui plaira davantage et la somme qu'il aura gagné par
son travail durant son apprentissage lui sera remise à sa majorité.
Une fois l'âge de la majorité atteint, l'adolescent sera proclamé libre et
maître de ses actes. En échange des soins que la société lui a prodigués durant
son enfance, elle exigera de lui trois choses : qu'il reste libre, qu'il vive
de son travail et qu'il respecte la liberté d'autrui. Et, comme les crimes et
les vices dont souffre la société actuelle sont uniquement le produit d'une
mauvaise organisation sociale, on pourra être certain qu'avec une organisation
et une éducation de la société basées sur la raison, sur la justice, sur la
liberté, sur le respect humain et sur la plus complète égalité, le bien
deviendra la règle et le mal une maladive exception, qui diminuera de plus en
plus sous l'influence toute-puissante de l'opinion publique moralisée.
Les vieillards, les invalides, les malades, entourés de soins, de respect
et jouissant de tous les droits, tant publics que sociaux, seront traités et
entretenus avec profusion aux frais de la société.
Politique révolutionnaire
C'est notre conviction fondamentale que, toutes les libertés nationales
étant solidaires, les révolutions particulières dans tous les pays doivent
l'être aussi, que désormais en Europe comme dans tout le monde civilisé, il n'y
aura plus des révolutions, mais seulement la Révolution universelle, comme il
n'y a plus qu'une seule réaction européenne et mondiale ; que, par conséquent,
tous les intérêts particuliers, toutes les vanités, prétentions, jalousies et
hostilités nationales doivent se fondre aujourd'hui dans l'unique intérêt
commun et universel de la Révolution, qui assurera la liberté et l'indépendance
de chaque nation, par la solidarité de toutes ; que la Sainte Alliance de la
[contre-] Révolution mondiale et la conspiration des rois, du clergé, de la
noblesse et de la féodalité bourgeoise, appuyée sur d'énormes budgets, sur des armées
permanentes, sur une bureaucratie formidable, armés de tous les terribles
moyens que leur donne la centralisation moderne, avec l'habitude et pour ainsi
dire avec la routine de l'action et du droit de conspirer et de tout faire à
titre légal sont un fait immense, menaçant, écrasant, et que, pour les
combattre, pour lui opposer un fait d'une égale puissance, pour le vaincre et
de détruire, il ne faut rien moins que l'alliance et l'action révolutionnaires
simultanées de tous les peuples du monde civilisé.
Contre cette réaction mondiale, la Révolution isolée d'aucun peuple ne
saurait réussir. Elle serait une folie, par conséquent une faute pour lui-même
et une trahison, un crime, contre toutes les autres nations. Désormais, le
soulèvement de chaque peuple doit se faire non en vue de lui-même, mais en vue
de tout le monde. Mais, pour qu'une nation se soulève en vue et au nom de tout
le monde, il faut qu'elle ait le programme de tout le monde, assez large, assez
profond, assez vrai, assez humain en un mot, pour embrasser les intérêts de
tout le monde, et pour électriser les passions de toutes les masses populaires
de l'Europe, sans différence de nationalité. Le programme ne peut être que
celui que la Révolution démocratique et sociale.
L'objet de la Révolution démocratique et sociale peut être défini en deux
mots :
Politiquement : c'est l'abolition du droit historique, du droit de conquête
et du droit diplomatique. C'est l'émancipation complète des individus et des
associations du joug de l'autorité divine et humaine : c'est la destruction
absolue de toutes les unions et agglomérations forcées des communes dans les
provinces, des provinces et des pays conquis dans l'État. Enfin, c'est la
dissolution radicale de l'État centraliste, tutélaire, autoritaire, avec toutes
les institutions militaires, bureaucratiques, gouvernementales,
administratives, judiciaires et civiles. C'est en un mot la liberté rendue à
tout le monde, aux individus, comme à tous les corps collectifs, associations,
communes, provinces, régions et nations, et la garantie mutuelle de cette
liberté par la fédération.
Socialement : c'est la confirmation de l'égalité politique par l'égalité
économique. C'est, au commencement de la carrière de chacun, l'égalité du point
de départ, égalité non naturelle mais sociale pour chacun, c'est-à-dire égalité
des moyens d'entretien, d'éducation, d'instruction pour chaque enfant, garçon
ou fille, jusqu'à l'époque de sa majorité.
Notes
(1) Illisible sur le manuscrit de Nettlau.
(2) Bakounine avait écrit : «L'illustre
statisticien français Crételet.» En fait, il s'agit du Belge A. Quételet
(1798-1831), statisticien et sociologue.
(3)Ici, dans le manuscrit de Nettlau, plusieurs
mots illisibles.
(4)Sur le manuscrit de Nettlau, «de» au lieu de
«à».
PATAPHYSIQUE 2
Mémoire concernant le calcul numérique de Dieu
par des méthodes simples et fausses
Divers calculs concernant Dieu dont certains sont faux
quot;sans-serif"; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Dieu égale-t-y D + i + e + u
|
||||||||
?
|
|
Ultérieurement
Le général romain est inférieur à l'unité, et même négatif, ce que l'on soupconnait. |
||||||
|
||||||||
[3] Dieu + Dieu = Dieu
( 2 + i - x ) + ( 2 + i - x ) = 2 + i [4] x = ( 2 + i ) / 2 = 1 + i / 2
Dieu = 2 + i - 1 - 1 / 2 = 1 + 1 / 2
|
|
ou = deux Dieux ? |
||||||
|
||||||||
[4] Dieu est un nombre complexe égal à l'unité augmentée de la moitié de l'imaginaire - 1 |
|
Ou alors, c'est le double de ca, soit |
||||||
Mais voyons les choses de plus près, en profitant d'une curieuse propriété du nombre deux qui veut que dans certaines conditions définies ailleurs par le Tr. Em'. Satrape Queneau, GCOGG, deux et deux fassent quatre.
Or Deux = Dieux - i [5] c'est-à-dire (Dieux)² - 2 Dieux i + i² = 4
Dieux² - 2i Dieux + i² - 4 = 0
FAUX
Dieu = ( 2i ± 2 2( i² + 2 ) )/2
Dieu = Dieu
(bien qu'il y ait des volumes entiers à écrire sur ce signe égale qui comporte une part d'autonégation, puisqu'il relie toujours deux nombres et que s'ils étaient égaux, on n'aurait pas besoin de le dire ; ca se verrait, ou plutôt ca ne ce verrait pas car il n'y en aurait qu'un - de ce principe découle d'ailleurs une algèbre entièrement nouvelle, où ce signe est supprimé, et telle que lorsqu'on écrit 1, cela veut dire 1 = 1 ; nous la développerons un jour).
Bref, si Dieu = Dieu
et i ± 2 1 + i² / 2 = 1 + i / 2
1 - i / 2 = ± 2 (1 + i² / 2)
1 - i + i² / 4 = 4 (1 + i² / 2)
Ou en développant, en faisant tout passer dans le premier membre, en ordonnant par rapport à i et en éléminant un sacré 4 qui nous emmerde au dénominateur (non sans changer les signes) :
[9] i = (4 [ - 1 ± 4(-5)])/14 Reportons sournoisement cette valeur de i dans la capitale équation [4 bis] Dieu = 1 + i / 2 il vient : Dieu = 1 + 2 / 7 ( - 1 ± 2 5 Ou encore Dieu = 5 / 7 ± (2 -5) / 7 [10]
Dieux + Dieux = 4 [10 bis] (Dieux - i) + (Dieux - i) = 4
Dieux - 2i = 4 Et en reportant dans [4 bis]
Deux x Deux = 4 = (Dieux - i) (Dieux - i) [14] Donc : Dieux = 1 + i = -1 Ah ; voilà déjà plusieurs valeurs de Dieu qui semblent sortir de l'ordinaire. Dieu = -1 = (5 ± 2 -5) / 7 = 0 Ce qui fait trois valeurs (la sainte trinité) et le zéro qui peut vouloir dire n'importe quoi. On appercevra immédiatement que le fait de considérer le zéro comme un chiffre, ou même comme quelque chose, constitue une hérésie. C'est pourquoi nous proposont d'attacher au zéro un caractère de nullité afin de ne pas contrevenir au dogme. après tout, on peut très bien s'en passer, et de la sorte, Dieu restera limité à trois valeurs. On en déduira également de curieux rapports nouveau entre le 1, le 2 , le 5 et le 7 ; on s'en doutais évidemment ; ces chiffres ont toujours été chargés de significations particulières (semaine de 7 jours, dont 5 de travail, etc.) et l'on devinera aisément leur connexion étroite avec l'être divin. |
PATAPHYSIQUE
sur quelques équations morales
en la fête de S. Olibrius, augure.
Monsieur,
J'ai tenté depuis des semaines d'apporter au numéro que vous pressez une contribution valable, mais la sécheresse glaciale (si l'on ose préciser qu'il s'agit de glace sèche) de mon esprit n'a d'égale que la rigidité difforme de mes méandres cérébraux, et vous concevez que le tourbillon nerveux qui fait la force ordinaire de mon raisonnement se trouve quelque peu désorienté à suivre ces grandes voies rectilignes et désolées ; aussi, je n'ai pu accoucher que de quelques crottes intellectuelles des plus minables, encore qu'elles se trouvent rayées en hélice, ce qui peut surprendre. J'étais sur la voie de découvertes fructueuses concernant Dieu et son calcul, mais une équation de base me manque encore ; j'ai, cependant, abordé brusquement, un matin, une venelle étroite qui me semble pouvoir receler quelques fructueux développements. J'inclinerais à croire qu'il s'agit de morale, et je vais vous proposer telles quelles mes premières remarques. Il se peut que d'éminents pataphysiciens, moins touchés que moi par le piripipiose de l'hiver, (qui me paralyse, il faut l'avouer) y trouvent un point de départ à quelques exercices scientifiques de bon goût.
C'est encore une fois la Sagesse des Nations que j'ai mise à contribution. Ce réservoir inépuisable de matière pataphysique est une gamelle où je patouille avec une joie toujours neuve, et ma (modeste) découverte de ce jour me fut peut-être soufflée par la vue du chat de la maison (un chartreux écouillé mais fort sympathique) qui me remit sur la piste d'un vieux proverbe désuet, usé jusqu'à l'âme et qui ne semblait plus devoir rendre d'ultérieurs services (est-ce un service qu'il m'a rendu, voilà le point en débat, mais je m'attarde en parenthèses et je vous fais languir, pardon, monsieur).
peut donc paraître d'une nouveauté restreinte, mais se prête, vous l'allez voir, à de mirificques transformations. Je revins d'abord à la jarryque conception du rastron et rétablis le chapistron. A bon chapistron, bon rapistron, me dis-je (et par suite, A mauvais chapidem, mauvais rapidem, mais nous nous bornerons ici à des bouleversements substantifs). Puis, la lumière se fit, (dans les quinze watts, car je ne suis pas riche), et je me dis que l'" at " pouvait sans inconvénient être retranché des deux termes de cette sorte d'égalité (il me semble avoir précisé, voire démontré quelque part, que les combinaisons lettriques des mots sont additives ; et l'on omet les signes + pour simplifier une écriture qui sans cela ne manquerait pourtant point de grandeur, mais, monsieur, empêchez-moi donc de digresser comme cela sans cesse, merdre, à la fin !).
Ainsi, mathématiquement, l'égalité
est parfaitement correcte ; et mes quinze watts en firent bientôt vingt-cinq, lorsque je me mis en devoir d'ajouter des quantités égales et positives, imaginaires ou réelles, aux deux termes. Or, voyez ma découverte : il y a là une source quasi infinie de nouveaux proverbes, et malgré mon humilité, je ne puis me retenir de penser que la morale y va trouver son compte. Je vous jette à la gueule quelques exemples.
Etrange égalité qui fait que le chien est au néant comme le chat est au rat. Peut-on en déduire que rien n'existe d'aussi bon que le chien ? C'est là sagesse un peu chinoise à mon goût ; je ne m'aventurerai pas à sonder les conséquences de ce point de vue.
Cela va de soi, et n'eût pas déplu à la comptesse de Ses Gurres ; a-t-on le droit de poser : à bon râteau, bon jardinier, voilà encore une énigme que les forces me manquent pour la résoudre (en charabia dans le texte original).
ne traduit évidemment que ce fait biologique : le chameau est un herbivore qui broute haut. A bon chai bon rai semble plus obscur, à cause de ce rai, justement, de lumière, qui s'y glisse par quelque pertuis. Voici qui va plus avant.
En effet, pour modifier l'installation d'une pièce, il faut d'abord la mettre en désordre (par rapport à l'ex-ordre) puis la remettre en ordre (par rapport à ce désordre, le nouvel ordre pouvant être identique à ce désordre ; voyez cela, c'est juste).
nous ramène au chapitre des torcheculs. Je passe sur les abondantes solutions réelles, et j'attire votre haute attention sur un premier cadeau du sort, toujours mansuet.
Nous pouvons évidemment concevoir une transformation de notre égalité, telle que l'un des deux vocables seulement soit réel ; et nous en déduirons une immense série de mots non pas imaginaires, mais virtuels plutôt, qui existent à l'état latent et voltigent sans bruit autour de nos épais sourcils jaunes. Ce grand planté de vocables va enrichir notre langue d'un tas de possibilités que nous n'aurons garde, pour la plus grande gloire de Faustroll, de laisser échapper.
A bon chapitre, bon rapitre (cf rastron)
A bon chascal, bon rascal
A bon chapin, bon rapin
A bon chapon, bon rapon.
Vous voici déjà en possession de rapitre, de chascal, de chapin et de rapon. Avouez que j'ai bossé, hein. Ici, on peut même découvrir des adjectifs ; tel :
A bon chabougri, bon rabougri ou des substantifs encore :
A bon chorizo, bon rorizo
A bon checul, bon recul
A bon choyaume, bon royaume
etc.
Je vous laisse le soin de définir le sens de ces mots nouveaux... d'ailleurs, il va de soi. Vous remarquerez que lorsque l'on égale deux termes non existants, on obtient alors une série de mots que l'on peut dire non plus virtuels mais imaginaires, tels
A bon chut bon rui
A bon chimimoto bon rimimoto
etc., etc.
1. Il s'ensuit de cz qui précède que l'on peut selon de bonnes probabilités faire correspondre ch à r dans les diverses égalités proverbiales où ils se rencontrent. D proche en proche, il doit y avoir moyen de transformer et d'enrichir tous les proverbes de ce type:
Tel père, tel-fils
(avec r = ch, donne : Tel pêche, tel fils, etc.)
qui donne, en ôtant l'ano,
D'où en reportant :
on pourra ôter le p dans les deux termes... mais vous apercevez devant vous l'extraordinaire mine que mon modeste point de départ fait s'entrouvrir devant vos globes oculaires ébahis.
2. Il me semble que l'on doit avoir le droit (et si on ne l'a pas, on le prend) de traiter de la sorte les équations du modèle
(duquel on tire aussitôt : Quoi invite inerte (?)
ou celles du type Qui s'y frotte s'y pique )
Bref, la moitié au moins du dictionnaire nous manquait jusqu'ici, et comment voulez-vous parler de morale dans ces conditions-là ?
Je vous suis très faustrolliquement acquis.
Cahier 21 du Collège de 'Pataphysique
(22 sable 83 = 22 décembre 1955